FORO PARA LA PAZ EN EL MEDITERRÁNEO

La relance de la « campagne d’Europe » de Daech

 

Jean-Pierre Filiu est professeur des universités en histoire du Moyen-Orient contemporain à Sciences Po (Paris). Il a aussi été professeur invité dans les universités de Columbia (New York) et de Georgetown (Washington). Ses travaux sur le monde arabo-musulman ont été diffusés dans une douzaine de langues. Il a aussi écrit le scénario de bandes dessinées, en collaboration avec David B. ou Cyrille Pomès, ainsi que le texte de chansons mises en musique par Zebda ou Catherine Vincent. Il est enfin l’auteur de biographies de Jimi Hendrix et de Camaron de la Isla.

Les attaques de Barcelone et de Cambrils marquent pour Daech une relance de sa campagne terroriste à l’échelle du continent européen.

Daech veut continuer de semer la terreur en Europe, telle est la principale leçon des tragédies de Barcelone et de Cambrils (15 morts, les 17 et 18 août). L’organisation d’Abou Bakr al-Baghdadi paraissait au début de cette année contrainte de recourir à des individus, souvent recrutés sur messageries cryptées, dont le passage à l’acte entraînait un bilan humain relativement moins lourd. La mobilisation en Catalogne d’une cellule d’une douzaine de membres démontre au contraire le retour à des réseaux terroristes au potentiel meurtrier bien plus élevé.

LA DYNAMIQUE DE LA « CAMPAGNE D’EUROPE »

Daech a ouvert sa « campagne d’Europe » avec l’attaque du 24 mai 2014 contre le Musée juif de Bruxelles, où 4 personnes ont été tuées par un jihadiste français de retour de Syrie. Le meurtrier, interpellé peu après à Marseille avec un armement très important, était sans doute mobilisé pour au moins un autre attentat. Il ne s’agissait donc ni d’un « loup solitaire », ni d’une frappe ponctuelle, mais bel et bien du début d’une campagne de subversion terroriste à l’échelle d’un continent, animée par une direction opérationnelle de Daech, dédiée à cette mission.

Le lancement de cette campagne est antérieur à la proclamation du « califat » de Baghdadi à Mossoul en juillet 2014, ainsi qu’au début des bombardements contre Daech d’une coalition menée par les Etats-Unis, le mois suivant. La « campagne d’Europe » de Daech n’est donc pas livrée dans une logique de « représailles » aux frappes occidentales, mais dans une dynamique d’initiative terroriste. Les cibles sont choisies avec l’opportunisme d’usage, aux fins de maximiser l’impact médiatique et de susciter des troubles intérieurs.

La volonté de Daech de pousser les groupes les uns contre les autres, et de prendre ainsi en otages les Musulmans locaux ou les réfugiés moyen-orientaux, a jusqu’à aujourd’hui été tenue en échec. Les sociétés européennes, souvent bien plus mûres et responsables que leur classe politique respective, ont refusé de tomber dans le piège jihadiste. Daech n’est pas plus parvenu à peser sur des échéances électorales, notamment sur le scrutin présidentiel du printemps dernier en France.

L’organisation de Baghdadi a cependant réussi à entretenir longtemps un flux de partisans vers et depuis les territoires sous son contrôle en Syrie et, dans une moindre mesure, en Irak. La ville syrienne de Rakka, où Daech avait été proclamé en avril 2013, a continué d’être le centre d’une planification terroriste sur le sol européen. La priorité absolue accordée par les administrations Obama, puis Trump, à la lutte anti-Daech en Irak, plutôt qu’en Syrie, a favorisé la poursuite de telles menées terroristes.

LES ETAPES D’UNE TELLE  « CAMPAGNE D’EUROPE »

Les attentats qui ont ensanglanté la France et la Belgique en 2015-16 ont conduit de trop nombreux responsables européens à voir dans la terreur jihadiste une dimension franco-belge, voire « francophone », plutôt qu’authentiquement européenne. Cette erreur d’appréciation s’est aggravée de la conviction tout aussi erronée d’un lien direct entre l’intensité de la menace terroriste, d’une part, et l’engagement au sein de la coalition anti-Daech, d’autre part.

Les pays européens peu engagés dans cette coalition, et a fortiori les pays extérieurs, ont cru échapper à la terreur de Daech, retardant ainsi la mobilisation de l’Union européenne face à un défi pourtant européen. J’avais sur ce même blog, dès septembre 2016, mis en garde contre le développement de la « campagne d’Europe » de Daech, prenant comme cas d’étude l’Allemagne (endeuillée en décembre 2016 par un attentat contre un marché de Noël de Berlin), l’Espagne et le Danemark. Ce dernier pays a été épargné par la terreur jihadiste depuis février 2015, ce qui n’est pas le cas de ses voisins scandinaves.

Il aura fallu attendre l’automne 2016 et l’intervention turque en Syrie dénommée « Bouclier de l’Euphrate » pour que le couloir de circulation des jihadistes depuis leur sanctuaire syrien jusque vers l’Europe soit enfin fermé. Daech en fait payer le prix fort à la Turquie avec la tuerie du Nouvel An dans une discothèque d’Istanbul (39 tués). La fermeture du corridor turc s’accompagne de frappes ciblées des Etats-Unis, visant enfin à Rakka les responsables opérationnels d’attentats perpétrés dès 2015 en Europe.

Ces deux développements compliquent pour la première fois de manière sérieuse la « campagne d’Europe » de Daech. D’où le recours à des terroristes isolés et/ou à des frappes à la voiture-bélier suivies d’attaques à l’arme blanche. Sans prétendre à l’exhaustivité, cette tragique litanie se décline depuis le début de 2017 à Londres (5 morts, le 22 mars, puis 8 morts le 3 juin), à Stockholm (5 morts, le 7 avril), à Paris (un policier tué sur les Champs-Elysées, le 20 avril) et à Manchester (22 morts, le 22 mai).

Les récentes attaques de Catalogne marquent une rupture, non pas en termes de nombres de victimes (inférieur à l’attentat-suicide de Manchester, par exemple), mais du fait de la mobilisation d’une cellule d’une douzaine de personnes. Six d’entre elles ont été tuées par les forces de sécurité, mais trois, dont le chef présumé de la cellule, ont péri dans l’explosion accidentelle de leurs stocks d’explosifs. Le recours aux voitures-béliers et aux armes blanches ne fut qu’un pis-aller pour une cellule privée de son leader et poussée à l’action immédiate.

Le risque majeur émane dès lors d’autres cellules dormantes sur le continent européen, avec des attentats à l’explosif, des possibilités d’actions coordonnées et des réseaux de soutien. Tel est bien l’horizon que l’état-major de Daech assigne désormais à sa « campagne d’Europe ». Il n’est que temps pour l’Union européenne de relever un tel défi de manière solidaire et coordonnée, et ce indépendamment des opérations anti-Daech en Syrie et en Irak, dont la conduite et la stratégie restent définies par le seul commandement américain.

Le blog de Jean-Pierre Filiu, historien y arabisant. 27.08.2017

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